Semaine 9
Bonjour à tous et à toutes,
J’espère que vous vous portez et que vous avez bien supporté la 1° journée de déconfinement ……
Pour ma part , bizarre !
Bizarre de se retrouver du jour au lendemain libre de bouger un peu sans le fameux « bout de papier »,
Bizarre de voir ces gens masqués ……..
Hier , j’ai cru que l’on était en pleine séance de science-fiction , la guerre des mondes ou 1984…..
Les gens marchaient courbés , en essayant de ne pas rencontrer le regard des autres … qui sait si …. ?
Les gens essayaient de ne pas croiser le chemin des autres …on ne sait jamais !!!
Je me suis sentie totalement étrangère à tout cela et me suis dit que j’étais mieux confinée !
Moi, ce qui m’a manqué le plus dans le confinement , ce n’est pas de sortir, ce n’est pas d’aller au cinéma, ou au spectacle, c’est de ne pas voir « des gens » , enfin des « humains », de ne pas les toucher ou leur faire la bise …….. et j’ai bien peur que cette situation subsiste encore quelque temps !
J’écoute beaucoup la radio, France Inter , pour ne pas la nommer , car la télé est quelque fois bien trop anxiogène ……
Il y a une émission qui est née du confinement , « Lettres d’intérieur » , où sont lues des lettres écrites par des personnalités diverses ; ce sont souvent de très beaux textes , inspirés souvent par l’actualité……. Je voulais vous faire participer à cette lecture , mais le choix a été très difficile : je vais vous livrer aujourd’hui la lettre d’Annie Ernaux , écrivaine que j’apprécie beaucoup, et j’en garderai une autre pour une autre fois ….
Cergy, le 30 mars 2020
Monsieur le Président,
« Je vous fais une lettre/ Que vous lirez peut-être/ Si vous avez le temps ».
À vous qui êtes féru de littérature, cette entrée en matière évoque sans doute quelque chose. C’est le début de la chanson de Boris Vian Le déserteur, écrite en 1954, entre la guerre d’Indochine et celle d’Algérie.
Aujourd’hui, quoique vous le proclamiez, nous ne sommes pas en guerre, l’ennemi ici n’est pas humain, pas notre semblable, il n’a ni pensée ni volonté de nuire, ignore les frontières et les différences sociales, se reproduit à l’aveugle en sautant d’un individu à un autre.
Les armes, puisque vous tenez à ce lexique guerrier, ce sont les lits d’hôpital, les respirateurs, les masques et les tests, c’est le nombre de médecins, de scientifiques, de soignants.
Or, depuis que vous dirigez la France, vous êtes resté sourd aux cris d’alarme du monde de la santé et ce qu’on pouvait lire sur la banderole d’une manif en novembre dernier -L’état compte ses sous, on comptera les morts - résonne tragiquement aujourd’hui.
Mais vous avez préféré écouter ceux qui prônent le désengagement de l’Etat, préconisant l’optimisation des ressources, la régulation des flux, tout ce jargon technocratique dépourvu de chair qui noie le poisson de la réalité.
Mais regardez, ce sont les services publics qui, en ce moment, assurent majoritairement le fonctionnement du pays : les hôpitaux, l’Education nationale et ses milliers de professeurs, d’instituteurs si mal payés, EDF, la Poste, le métro et la SNCF.
Et ceux dont, naguère, vous avez dit qu’ils n’étaient rien, sont maintenant tout, eux qui continuent de vider les poubelles, de taper les produits aux caisses, de livrer des pizzas, de garantir cette vie aussi indispensable que l’intellectuelle, la vie matérielle.
Choix étrange que le mot « résilience », signifiant reconstruction après un traumatisme.
Nous n’en sommes pas là.
Prenez garde, Monsieur le Président, aux effets de ce temps de confinement, de bouleversement du cours des choses.
C’est un temps propice aux remises en cause.
Un temps pour désirer un nouveau monde.
Pas le vôtre !
Pas celui où les décideurs et financiers reprennent déjà sans pudeur l’antienne du « travailler plus », jusqu’à 60 heures par semaine.
Nous sommes nombreux à ne plus vouloir d’un monde dont l’épidémie révèle les inégalités criantes,
Nombreux à vouloir au contraire un monde où les besoins essentiels, se nourrir sainement, se soigner, se loger, s’éduquer, se cultiver, soient garantis à tous, un monde dont les solidarités actuelles montrent, justement, la possibilité.
Sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie, nous n’avons qu’elle, et « rien ne vaut la vie » - chanson, encore, d’Alain Souchon.
Ni bâillonner durablement nos libertés démocratiques, aujourd’hui restreintes, liberté qui permet à ma lettre – contrairement à celle de Boris Vian, interdite de radio – d’être lue ce matin sur les ondes d’une radio nationale.
Annie Ernaux
Le temps n’est pas non plus à la gaieté !
Mais ne vous en faites pas : je vais vous revenir , plus enjouée que d’ordinaire !
Prenez bien soin de vous !
Je vous embrasse .
Nicole